ARTICLE DE CLAUDE FERNANDEZ, POÈTE ÉPIQUE


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LA QUÊTE DE LA PERFECTION TECHNIQUE CHEZ RENATA NOVÁKOVÁ-DAUMAS

Pas plus les multiples veduti de Canaletto, cartes postales vénitiennes du 18e siècle, que les nature mortes de Wilhem Kalf ou de Jan Brueghel ne sont un essai vers une représentation objective, mais plutôt son dépassement, sa recréation mentale. Et les boîtes de tomato soup, portraits colorisés de l'hyperréalisme ne visent-ils pas, en la niant et par cette volonté même de négation, une forme de transcendance? C'est de cette démarche esthétique dont procèdent les pastels et dessins de Renata Nováková-Daumas, une recherche discrète à l'image de la peinteresse elle-même, qu'il faut saisir en scrutant les sinuosités, en sondant les nuances chromatiques. Marques presque invisibles qui affectent moins le sujet que le contour, moins le contour que la surface, mais plutôt cette caractéristique indéfinissable du matériau pictural qui passe souvent inaperçu aux yeux du néophyte: la texture, l'aspect, la pâte. Que serait l'originalité de Léonard sans le sfumato et celle de Renoir sans le filochage? Chez Renata Nováková-Daumas, c'est une certaine transparence, un certain reflet, une profondeur que traduisent mystérieusement les surcouches d'un fond ou les surépaisseurs des pelages. La minutie devient paradoxalement évanescence, la netteté se perd dans le vague. Les éléments émanent une lumière intérieure qui est celle de l'âme. Une des singularités des pastels de Renata Nováková-Daumas par rapport aux oeuvres de Paul Dangmann, Wim Verhlst ou Christine Boudin est certainement l'élaboration des fonds et des avant-plans qui rivalisent avec la figure principale, constituant avec elle un ensemble indissoluble. Ainsi, aucune parcelle du tableau n'échappe à l'empreinte de l'artiste contrairement à ce qu'il en est d'une scène réelle vue par l'oeil humain ou l'objectif d'un appareil photographique. Le poil, tel pourrait être l'élément esthétique définissant le mieux l'art de la peinteresse, qu'il s'agisse du pelage hirsute d'un loup ou de la barbe faussement disciplinée de Piotr Illich Tchaïkovsky, Le poil qui est fluidité, courbe, souplesse, ondoyance, douceur, chaleur, sensualité, protection. Le poil, point de convergence de la vision analytique et synthétique. Le poil qui représente l'hyperprécision, l'inachèvement, la multiplicité indéfinie, l'approfondissement inabouti pour épuiser une réalité visuelle s'échappant à elle-même. Le poil, point inaccessible au-delà duquel la représentation se perd dans l'improbable. Le poil, défi technique de l'exactitude, de la méticulosité, de la finesse, de la perfection... La virtuosité picturale que déploie Renata Nováková-Daumas reflète son tempérament, une virtuosité qui s'efface, s'accorde avec l'humilité en évitant tout effet démonstratif, une virtuosité feutrée à l'image de celle développée par son homonyme et compatriote, le compositeur Viteslav Novák dans ses oeuvres musicales. Si les sujets, généralement imposées - animaux domestiques réalisés sur commande des propriétaires - limitent les possibilités imaginatives de la peinteresse, il faut rechercher dans le choix des fonds la touche de fantaisie ou le thème qui prête au dessin son originalité. Démarche moderne de second degré qui incite à rechercher la finalité expressive de l'oeuvre au-delà du sujet principal. L'ensemble communique une impression de sérénité, de plénitude. L'importance de la texture n'exclut pas les signifiances relatives à la composition d'ensemble. Ce chaton marron et blanc sur un fond de branche dénudée par les autans n'est-il pas émouvant en nous suggérant une multitude de sentiments sur la fugacité de la vie, la candeur enfantine, la souffrance, la précarité de la condition animale et de la condition humaine? Cette branche sur laquelle il se maintient n'évoque-t-elle pas la contingence fondamentale liée à toute vie, qu'un hasard heureux ou malheureux peut transformer en existence paisible ou en enfer. Ces quelques feuilles échappées encore aux rigueurs hivernales ne représentent-elles pas les derniers jours qui restent à vivre à cette créature naissante, cette perfection, cette beauté féline que la mort ensevelira bientôt dans les affres de l'agonie. À moins que la superposition de la verdure mourante et du jeune chaton ne soit une image de la vie, éternellement victorieuse. Le symbolisme n'est-il pas d'autant plus fascinant, plus prégnant qu'il est plus ambigu, plus indécryptible, d'autant plus obsédant qu'il est plus secret. Une allégorie qui rejoint, dans un mode plus allusif, La jeune fille et la mort de Hans Baldung. Signifiances volontaires ou involontaires de la part de la peinteresse, potentialités sémantiques inhérentes aux éléments naturels, suggérées consciemment ou inconsciemment. Le poète a dit:

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.


Et quel être plus que l'animal parle confusément à notre conscience. Sans mots, sans concepts. L'animal, archétype de la dimension intuitive de l'art, précisément celle qui s'apparente à la sensibilité de l'artiste. L'animal, qui représente le mieux les profondeurs insondables et énigmatiques de notre propre psyché. La vocation animalière de Renata Nováková-Daumas n'est pas un hasard, ni même un simple sujet graphique correspondant à son esthétique, elle traduit un amour profond à l'égard de ces créatures qui possèdent en elles le mystère de l'Existence, l'innocence primordiale, la pureté originelle que nous avons perdue.


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